Gustave Dechézeaux, figure de l'île de Ré pendant la révolution

La famille Dechézeaux est une famille protestante originaire d'Ars en Ré. Lors de la révocation de l'Edit de Nantes plusieurs de ses membres se sont expatriés et ont fait souche à Bergen, en Norvège.

Etienne Laurent Dechézeaux et sa femme Louise Lambert sont demeurés fidèles à l'île de Ré. Leur fils Gustave est donc né à La Flotte, important foyer du protestantisme rétais, le 8 octobre 1760. Bien que, sous Louis XV, la répression du protestantisme ait perdu de sa rigueur, les protestants n'avaient encore d'autres justification d'état-civil que les actes de baptême délivrés par le curé de leur commune natale. De là l'obligation pour les parents protestants de faire baptiser leurs enfants à l'église de leur paroisse, deux domestiques faisant fonction de parrain et de marraine. Les mariages célébrés par les pasteurs n'avaient aucune valeur légale, ce qui explique les mentions "fils illégitime" ou "fille illégitime" qui figurent sur les registres catholiques.

L'acte de baptême de Gustave Dechézeaux figure donc dans les registres paroisiaux de la Flotte :

"Le neuvième jour du mois d'octobre mil sept cent soixante, fut par nous, prêtre Curé soussigné, Pierre Charles François Gustave, âgé de un jour, fils illégitime du sieur Estienne Mounier Dechézeaux, négociant, et de dame Louise Lambert. A été parrain François Mounier et Geneviève Payand. Le parrain a déclaré ne savoir signer, de ce requis." Suivent les signatures de Geneviève Payand et de F. Morine, prêtre Curé de la Flotte.

Gustave Dechézeaux enfant

 

L'enfance de Gustave Dechézeaux

Les riches protestants de l'île de Ré ne pouvaient envoyer leurs fils au collège de la Rochelle, tombé depuis 1628 aux mains des jésuites. Certains, en particulier les commerçants en relations assidues avec l'Angleterre ou la Hollande, choisissaient de mettre leurs enfants en pension à l'étranger. Ils pouvaient ainsi apprendre une langue nouvelle, mais aussi nouer des amitités précieuses pour leur commerce futur.

D'autres parents préféraient garder leurs enfants en France, mais choisissaient de les faire instruire à Paris par des précepteurs. C'est ainsi que Etienne Dechézeaux, profitant de ce que la mère de sa femme habitait Paris, y fit élever ses deux fils, Gustave et Achille. Gustave, dés l'âge de douze ans, avait des maîtres de littérature, de musique, de danse et d'équitation. Il recevait, comme tout fils de bourgeois riche de l'époque, une éducation qui devait faire de lui un homme du monde. Les précepteurs étaient en relations constantes avec son père, et lui signalaient les progrès de leur élève. Etienne Dechézeaux, depuis la Flotte, veillait avec soin à l'éducation de ses enfants, tenant à ce qu'ils apprennent le catéchisme et fassent leur "devoir de religion". Le musée de St Martin conserve nombre de ces lettres.

Ayant achevé ce que nous appellerions son éducation secondaire, Gustave Dechézeaux passa en Hollande pour compléter ses études et s'initier au commerce, et son frère Achille, ayant terminé ses études à Paris, voyagea en Allemagne et en Angleterre.

Gustave Dechézeaux le révolutionnaire

Après son séjour en Hollande, Gustave revient dans son île natale pour fonder une société de commerce avec Jacob Lem pour associé. Négociant respectable, il occupe les fonctions de juge au Tribunal de commerce de Saint-Martin. Il se marie le 22 juillet 1790 avec une jeune rochelaise, Marguerite Françoise Vatable dont il aura deux filles. Gustave Dechezeaux est un ambitieux et la Révolution lui donne l'occasion d'assouvir ses désirs de pouvoir. En 1789, il est électeur des représentants du Tiers Etat de la sénéchaussée de La Rochelle à l'Assemblée Nationale, puis l'année suivante, nommé commandant de la Garde Nationale de La Flotte.

Ayant pris, avec son frère Achille, la direction de la maison de commerce de son père, il possèdait une grosse fortune. Il en fit un emploi généreux, versant une contribution patriotique volontaire de cinq cent livres, prenant l'engagement de payer dix livres par mois aux familles de dix volontaires de Ré, équipant enfin complètement deux hommes.

Il fut lieutenant-colonel dans l'armée réunie aux Sables-d'Olonne en juillet 1791 contre la Vendée révoltée. Il eut, dés la première heure, une grande influence dans l'île et, lors des élections à la Législative, fut élu par le département premier député suppléant (1er septembre 1791).

Le 6 septembre 1792, il était nommé député à la Convention. Il y apporta un respect absolu des droits de la conscience, héritage de deux siècles de protestantisme. C'est précisément ce qui le perdit : il fut à la Convention un isolé, ne voulant faire fléchir ses opinions deavnt les exigences d'aucun parti, mais inscrit avec les girondins, ce qui, dans une assemblée tombée aux mains des montagnards, ne pouvait que lui porter préjudice. Bien que républicain fervent, il s'éleva contre la violation des formes les plus élémentaires de la justice lors du procès du Roi.

Voici un extrait de son discours :

"C'est dans quatre jours que vous voulez que Louis Capet soit traduit à la barre, accusé, entendu et jugé. Législateurs ! Quels sont donc les motifs puissants qui peuvent vous faire oublier jusqu'au derniers éléments de la justice ? Si Louis Capet n'est qu'un criminel ordianire, vous ne pouvez lui refuser ce que la loi accorde aux autres, car l'exception serait injuste. Si la mesure de ses forfaits est celle de l'importance de son jugement, certes, il n'en est pas où vous deviez mettre plus de réflexion et d'impartialité...

Je devrais dire, à la veille de la comparution de Louis XVI à la barre de la Convention Nationale, que, convaincu de ses crimes, de la justice de l'en punir par une peine capitale, mais voulant en prononcant l'arrêt de sa mort ne faire qu'appliquer cette peine à un délit légalement prouvé, je ne la prononcerais pas si toutes les formes sont violées, si l'humanité est outragée, si les obligations que les principes du droit naturel chez tous les peuples et dans tous les temps imposent à tous les juges sont méconnussans nécessité pour le salut public."

Ce discours, lorsqu'il fut connu à Rochefort, où siégeait le tribunal révolutionnaire de la Charente-Inférieure, souleva la tempête. Joseph Niou, président des Amis de la Liberté et de l'égalité, montagnard, fit décider qu'un parchemin ou serait rapporté ce texte serait brûlé publiquement. Dechézeaux en fléchit pas et vota, non pas la mort, mais la détention du Roi.

Au lendemain de l'arrestation des députés girondins il ose protester avec énergie. En juillet 93, il est déclaré contre-révolutionnaire dangereux par le rochelais Billaud-Varennes. Enfin voyant l'Assemblée tomber sous la domination des Montagnards, il se décide à démissionner le 10 septembre 1793 et rentra à La Flotte. Son succès aux élections lui avait attiré la jalousie d'un certain Crassous qui n'avait été nommé que troisième député suppléant. Celui-ci travailla à le perdre, s'appuyant sur les éléments avancés de la société populaire de Rochefort et présentant Dechézeaux comme un fédéraliste. Des recherches récentes ont démontré qu'il avait été victime des agissements de Parent, un membre important de la Société des Amis de la Constitution de La Rochelle, pour des raisons restées obscures.

Son arrestation est donc une initiative locale puisque, malgré les attaques de Billaud-Varennes, il n'a jamais été suspecté par les autorités parisiennes. Deux commissaires de la Convention, Lequinio et Laignelot, organisent à Rochefort un tribunal révolutionnaire. Le 8 novembre 1793 celui ci lançait un mandat d'amener contre Dechézeaux : incarcéré à Rochefort, il fut, après une parodie de jugement, condamné à mort et exécuté le 13 janvier 1794 sur la place de la Liberté (aujourd'hui place Colbert) à Rochefort. Dès la chute de Robespierre, la veuve du conventionnel rétais entreprend des démarches pour obtenir la réhabilitation de son mari. Grâce au soutien de la municipalité flottaise, elle eut rapidement gain de cause.

Sa mémoire fut réhabilitée par la Convention le 23 germinal an II.

Il avait prévu sans faiblir sa condamnation : "Deux partis, écrivait-il quelques jours avant sa mort, avaient divisé la République? Dechézeaux ne voulut s'attacher ni à l'un ni à l'autre. Il dit ce qu'il pensait sans ménager personne. Il crut qu'il fallait s'en tenir à la vérité et sa tête fut proscrite. "

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