LA LIAISON AVEC LE CONTINENT
La silhouette du pont de l'île de Ré nous est aujourd'hui familière. Mais pendant des siècles les passages reliant l'île à la "Grande Terre" ont été soumis aux marées, aux caprices du temps ou aux accidents de navigation.
Vendangeurs abordant l'île à la fin de l'été, achats sur le continent de marchandises que l'île ne produisait pas (blé, bois de chauffage, foin), exportation de vin, les traversées sont fréquentes dés le moyen âge. A partir du 20e siècle la vogue des bains de mer amènera sur l'île de nouveaux voyageurs.
Cette page a été réalisée à partir de l'exposition "Des îles à la Grande terre, les liaisons maritimes entre Aix, Oléron, Ré et le continent du Moyen Age à nos jours", concue et réalisée par les archives départementales de Charente Maritime, en 1995.
SOUS L'ANCIEN REGIME
Les documents au sujet du passage entre l'île de Ré et le continent ne sont nombreux et précis qu'à partir du XV e siècle, et ils portent essentiellement sur le droit de passage, et pas sur le passage lui même. Le passage se fait soit avec la côte d'Aunis, essentiellement vers la Repentie, soit vers la côte du Bas-Poitou (l'actuelle Vendée), à travers le pertuis breton, essentiellement vers la Tranche et Marans.
Au moyen Age
Au moyen-âge, le passage est un monopole seigneurial. A une date non précisée, le seigneur de Ré cède le droit de passage aux moines de l'Abbaye Notre-Dame des Chasteliers.
Le 3 mars 1445, à l'issue d'un procés opposant les religieux et les habitants de l'île, la Cour du gouvernement de La Rochelle fixe le tarif suivant :
... Homme habitant de l'îsle de Ré, luy seul paiera IIII deniers tournois. Et si ledit habitant est à cheval payera pour lui et son dit cheval XV deniers. Et si ledit habitant a fardel de la charge d'ung cheval, paiera tant pour lui que pour sesdits cheval et fardel XX deniers. Homme forain, luy seul paiera VIII deniers.
Notons le tarif de faveur dont jouissent déjà les habitants de l'île par rapport aux "forains" c'est à dire aux non insulaires.
L'intervention de l'administration royale
Au XVIIe siècle, le pouvoir royal s'impose progressivement au détriment du pouvoir seigneurial. Par l'arrêt du Conseil d'Etat du 12 avril 1685, le roi s'octroie les droits de passage et les rétrocède immédiatement aux habitants de Saint-Martin en indemnisation des terrains utilisés pour la construction de la citadelle (1681-1690).
L'amirauté de La Rochelle intervient de son côté pour fixer les droits de passage.
L'Intendant de justice police et finances de la Généralité de La Rochelle, créé en 1694, procèdera à l'adjudication des droits de passage au XVIIIe siècle. Le passage sera alors assuré par des "fermiers" concessionnaires.
Des passages difficiles
Les passages sont longs et irréguliers ; tributaires des vents et des marées, ils sont fréquemment retardés par l'absence des embarcations, les entrepreneurs les utilisant pour des transports commerciaux.
Le 26 janvier 1726, à huit heures du matin, les officiers de l'Amirauté se présentent à cheval au port de la Prée, après avoir procédé à la vente du navire le Vaincoeur nafragé sur la côte de Rivedoux. Ils y trouvent ... quinze à vingt personnes qui attendoient le passage... et apprennent ... qu'une des chaloupes du passage est occupée despuis plusieurs jours et actuellement chargée de vin qu'elle voiture de Rivedoux à bord des vaisseaux qui sont à la rade de La Flotte et de Saint-Martin et que les deux autres chaloupes sont dans le havre de La Rochelle où elles furent hier au soir quoy qu'il faisoit beau temps... ce qui n'est ainsi pratiqué par ledit Périer (entrepreneur) que pour avoir plus d'argeant... ( procés verbal du naufrage du Vaincoeur)
Les passages sont facilités par l'usage des pavillons rouge pour les militaires et blanc pour les civils, hissés à la Repentie, afin de faire venir la chaloupe de la Prée.
La révolution
Entre 1790 et 1793, la supression des droits féodaux pose de fait le problème de l'organisation des passages. A l'unanimité, les municipalités de de Ré (comme à Oléron) se prononcent pour le maintien, comme par le passé, des passages exclusifs pour le bien et avantages du public. Mais les entrepreneurs devront à l'avenir se considérer comme des agents publics.
En février 1793, les habitants de Ré adressent une pétition à la convention : Législateurs, ...nous vous supplions... de maintenir ledit passage tel qu'il étoit avant ledit décret, car il ne peut être assimilé au passage des rivières.
La liberté des passagers, bien qu'effective, ne donne pas entière satisfaction aux usagers : le 18 fructidor an V, l'administration cantonale d'Ars déplore la supression de la poste entraînée par le mauvais fonctionnement des passages et se propose ... d'aviser aux moyens de suppléer d'une chose qui nous devenoit ... bien essentielle tant sous le rapport de nos relations administratives que sous celui du commerce dse sels le plus considérable qui se fasse dans toute l'isle et peut être dans toute la France... Le service est assuré par des entrepreneurs privés, sur des barques à voile, sans réglementation particulière jusqu'au second empire.
LES PREMIERS VAPEURS
Le Courrier
Le 6 août 1824, le Courrier, construit à Nantes, arrive dans le port de La Rochelle. Son armateur souhaite établir une liaison maritime entre La Rochelle, Ré et Oléron. Ce projet, soutenu par le Préfet en cette période de déclin économique, est bien accueilli par le public qui espère des liaisons plus régulières. Des mesures de sécurité sont prises pour l'appontement dans le port de Saint-Martin de Ré, et la première commission de surveillance des bateaux à vapeur est mise en place. Pourtant cette liaison ne sera jamais mise en service. Les rétais devront encore attendre les vapeurs presque dix ans. Ils continueront donc à utiliser les voiliers privés qui assurent la traversée à cette époque. Ces voiliers continueront leurs traversées bien après l'arrivée des vapeurs, et le passage régulier par voilier ne prendra fin qu'en 1875.
De 1835 à la seconde guerre mondiale : les armements puis les compagnies
De nombreux navires à vapeur vont se succéder. Ils accostent à Saint Martin, à la Flotte ou à Rivedoux. Ils appartiennent à des armateurs rochelais ou rhétais. Les frères Bouthiller de Saint Martin fondent en 1899 la Société Anonyme des bateaux à vapeur de l'île de Ré qui, associée ensuite à la Compagnie rhétaise, assurera les passages jusqu'à la seconde guerre mondiale.
En septembre 1898 un chemin de fer est installé sur l'île de ré. Partant de Sablanceaux, il relie tous les villages, jusqu'aux Portes. Son installation explique l'implantation d'un nouvel embarcadère à Sablanceaux, en 1909. A cette période on commence à aménager les horaires des passages pour satisfaire la demande naissante des "baigneurs" de plus en plus nombreux pendant l'été.
Jusqu'à la première guerre mondiale un service régulier assure la traversée entre Ré et la Vendée. Les foires agricoles vendéennes sont très fréquentées par les rhétais qui y achètent leurs animaux, ainsi que leurs graines et plants. Après 1918 l'île de Ré ne regarde plus que vers La Rochelle, et les communications maritimes avec la Vendée sont très réduites.
Les bacs
Après la première guerre mondiale le développement du trafic automobile entraîne une réflexion sur la nécessaire modernisation des navires assurant la traversée. Il faudra pourtant attendre 1930 pour que le Conseil général adopte un plan d'amélioration des liaisons avec Ré et Oléron par bacs transbordeurs. La construction des deux premiers bacs sera achevée en 1940.
Au lendemain de la guerre, le département va remettre en état les appontements et les navires endomagés, et créer en 1948 la Régie Départementale des Passages d'Eau à laquelle seront progressivement confiées toutes les liaisons avec Ré, Oléron, puis Aix.
Pour des photos des bacs, vous pouvez cliquer ici sur le site de François Delboca
Le pont
L'augmentation régulière du trafic automobile, les difficultés des passages durant la période estivale, l'importance des dépenses rendues indispensables pour la modernisation de la flotte, ont conduit le Conseil Général à privilégier la laison fixe avec le continent. Le pont de 2,9 km sera édifié de 1987 à 1988.
Les estivants sont sans doute nombreux à regretter le charme des traversées d'antan. Mais les insulaires, dans leur majorité, apprécient de ne plus être tributaires des caprices de la météo et des horaires des traversées...