Le Pénitencier de l'île de Ré

La citadelle de Saint Martin eut pendant des siècles un rôle essentiellement militaire. C'est la révolution et les années troublées qui suivirent qui lui donnèrent son rôle de prison.

A la fin de 1798, 1023 prêtres réfractaires qui croupissaient sur les pontons de Rochefort furent transférés à la citadelle de Saint Martin ainsi que 133 autres détenus. Ils furent entassés sans aucune distinction à plus de 1000 dans des locaux à peine capables d'en loger 500. Les survivants ne virent la fin de leur calvaire et leur libération qu'à la suite de la signature du concordat le 14 juillet 1801. Sous l'empire d'autres réfractaires, qui refusaient les levées en masse, arrivèrent. En 1820, ce fut au tour des soldats fidèles à Napoléon de peupler la citadelle. PUIs, pendant cinquante ans, on n'y vit plus que des militaires en garnison.

Arrive alors le temps de la commune. En 1871, la citadelle est déclarée prison d'Etat. Quatre cent communards y sont internés. En 1873, les derniers communards sont transférés en Bretagne, laissant la place libre pour une nouvelle spécialisation de la citadelle qui devient Dépôt d'étape et lieu de concentration pour les prisonniers de droit commun à destination des bagnes coloniaux. Pendnat la première guerre mondiale, la transportation s'arrête et la citadelle héberge des prisonniers allemands.

Le conflit terminé, la vie reprend au Dépôt. Chaque année, environ 700 bagnards et relégués passent sous les fenêtres des habitants de Saint Martin pour se retrouver sur les bords du fleuve Maroni. Ce n'est que 20 ans plus tard, le 17 juin 1938, qu'arrive enfin la signature du décret loi supprimant le bagne de la Guyanne. C'est la fin de la transportation. La vénérable citadelle change à nouveau de destination, elle redevient caserne, mais avec d'autres uniformes, pour le temps de l'Occupation.

En 1946, c'est le retour au service pénitentiaire, qu'elle poursuit de nos jours tout en conservant pour beaucoup des touristes le surnom de bagne de saint Martin, qui semble indélébile...

Pour des cartes postales des bagnards de Saint Martin et de leur transfert, vous pouvez cliquer ici sur le site de François Delboca ou ici sur celui de C. Picaud.

Le regoupement pour la transportation

Avant 1933

Au départ des maison centrales, les détenus étaient transportés par wagons cellulaires. De la gare de La Rochelle à la vieille prison de la rue du Palias, ils allaient à pied, triste défilé encadrés de gardiens, attirant une foule de curieux. Ils se tassaient dans cette petite prison, pendant une dizaine de jours, dans l'attente des derniers condamnés venus de Caen, Riom, Rennes, ou Fontevrault.

Le jour venu les forçats, en colonne, passent sous la Grosse Horloge pour aller sur les quais. L'embarquement a lieu en compagnie de paisibles passagers ordinaires de la ligne pour qui cette commnuauté indésirable constitue souvent une attraction. L'absence de passages spéciaux, pourtant réclamés avec insistance, amène les condamnés à rester sur le pont, où il reste de la place, au milieu des vaches, des chevaux, des cochons, des barriques, qui constituent le frêt ordinaire.

Après une escale à la Flotte, le bateau entre à Saint-Martin, une heure et demie après son départ de La Rochelle. On reforme le défilé et les tirailleurs sénagalais en garnison à la caserne Toiras viennent aider les gendarmes à encadrer le troupeau jusqu'à la citadelle. Après des heures de wagon cellulaire, une ou plusieurs mauvaises nuits à la Rochelle, une traversée sur des flots parfois agités, les hommes arrivent abrutis de fatigue, restant plusieurs jours prostrés dans des dortoirs surpeuplés, allongés sur leur bas-flanc. L'escorte de gendarmes se hâte de redescendre au port pour ne pas manquer le retour à la Rochelle. Une fois sur deux, la marée étant défavorable, ils doivent attendre le bateau du lendemain et engager des frais dont le remboursement se fera attendre, souvent plus d'un an. Tant d'inconvénients cumulés entraînent bien des réclamations en haut lieu demandant que les prisonniers cessent de transiter par la maison d'arrêt de la Rochelle.

Après 1933

En septembre 1933 un nouveau système de transfert est institué, qui fonctionnera jusqu'au dernier convoi, en 1938. Une quarantaine de fourgons cellulaires provenant de différentes maisons centrales se regroupent, à une heure précise, dans un lieu de rendez-vous au Nord de la Rochelle. De ce lieu de concentration, le convoi gagne le point d'embarquement sur la jetée nord du port de la Pallice, où l'attendent deux vapeurs sous pression. En moins d'une heure tout le monde est assis à sa place. Moins d'une heure plus tard, les bateaux accostent dans le port de Saint Martin. Le débarquement et le convoyage sont menés avec méthode, dans l'heure qui suit l'escorte de gendarmerie peut regagner la Rochelle.

L'attente du départ

Les condamnés perdent leur identité et deviennent des numéros matricules. Ce numéro tatoué sur le bras gauche doit rester apparent. Il suivra les bagnards jusqu'à la croix que l'on plantera sur leur tombe. Forçats et relegués sont soumis à des régimes différents. Pour les forçats : tabac interdit, crâne rasé, silence absolu et permanent. Matin et soir trente minutes de "promenade" au pas cadencé sous le commandement d'un surveillant qui compte "une, deux, une, deux"... Le relégué, forçat à vie, peut, aux heures de repos, converser et fumer. Il peut-et il ne s'en prive pas- se laisser pousser barbe et cheveux. Les relégués, n'ayant plus rien à perdre, sont de beaucoup les plus dangereux. Afin d'éviter ou de limiter la contagion, les deux catégories sont séparées et isolées. La discipline est stricte et les sanctions fréquentes.

Les visites des parents proches sont autorisées le jeudi et le dimanche. Un couloir où se tient un gardien sépare le détenu des visiteurs, interdisant tout échange d'objet et tout contact physique.

Trois semaines avant l'embarquement, les déportés cessent le travail et recoivent une nourriture plus abondante. Ce régime doit les aider à supporter les trois semaines de traversée et l'adaptation au climat tropical.

L'embarquement

Le jour de l'embarquement, le maire de Saint Martin fait "passer le tambour" pour signifier aux habitants des maisons qui bordent les quais l'interdiction de sortir durant toute l'opération d'embarquement. Portes et contrevents du rez de chaussée devront rester fermés. Il est également interdit de photographier, de menacer et d'injurier les forçats sur leur passage...

Vers quatre heures du matin, tout le monde est debout : les détenus sont habillés de neuf : vareuse et pantalon de bure, de couleur marron. Un bonnet noir à raies blanches pour les forçats, un chapeau noir pour les relégués. Aux pieds : des galoches à semelle de bois. L'équipement est complété par un sac de marin, une couverture roulée et portée en bandoulière, et une musette contenant gamelles, quart, fourchette, cuiller et mouchoirs. Les bijoux et pécules soigneusement repertoriés et comptabilisés suivent les transportés dans leur exil. Les autres objets personnels, bagages, vêtements et autres restent à la citadelle. Les familles peuvent en prendre possession dans un délai de un an et un jour. A l'expiration de ce délai, ils seront mis à disposition de l'hôpital de Saint Martin.

Vers six heures, tirailleurs et gendarmes prennent position le long du petit chemin qui part de la citadelle, et descend vers le port à travers le petit bois de la Barbette. On refoule loin en arrière les familles des forçats venues assister au départ. Le cortège gagne alors le port. Après la première guerre mondiale, un bateau-prison sera affecté au transport des baganrds vers la Guyanne. Les détenus embarquent sur les bateaux (l'Express, le Coligny, les bateaux qui assurent la liaison avec le continent sont mobilisés pour l'occasion) qui les conduiront en une demi-heure au grand bateau-prison, la Martinière.

Ils sont alors embarqués et répartis dans les huit cages des entreponts. En principe chaque cage reçoit 72 hommes, il arrive qu'en les serrant un peu on en fasse entrer 80. L'administration pénitentiaire a prévu une morgue qui accueillera les forçats et relégués qui ne supporteront pas le voyage. Deux ou trois décès pendant un voyage sont loin d'être rares. L'embarquement terminé, la Martinière lance un long et grave coup de sirène. La Martinière a acheminé plus de sept mille condamnés vers la Guyanne.

Suite : les bagnes coloniaux

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