Chanson de Craonne

En avril 1917, le plateau de Craonne est un des secteurs les plus disputés à l'est du Chemin des Dames. Sa prise est vitale pour l'armée française : en cas de victoire, les allemands seriaent pris à revers et les artilleurs bénéficieraient du meilleur observatoire du champ de bataille. Si l'artillerie de Nivelle détruit celle de l'ennemi, elle entame à peine les défenses. Au moment de l'assaut, les vagues fournies de poilus doivent franchir à découvert un marais sans fin, puis escalader une pente abrupte. Les nids de mitrailleuses allemands les massacrent sous un feu croisé. La chanson de Craonne, composée lors de ce désastre, obtient un tel succès au front qu'elle est interdite par le haut commandement - elle le restera jusque dans les années soixante-dix. Une prime importante et le retour à la vie civile sont offerts à qui en dénoncera l'auteur. Jamais trahi, ce dernier est resté anonyme. Le contenu social et et politique de cette chanson, malgré ses tournures naïves, donne une idée très précise du resssentiment des poilus à la suite des offensives Nivelle et au moment des muntineries. Les injustices y sont dénoncées, ainsi que les véritables vainqueurs de cette guerre dont ils sont les "sacrifiés". Le dernier couplet s'en prend au pouvoir de l'argent. Aujourd'hui, le village de Craonne est recontruit à côté de son site original. Tous les jours des ossementsou des objets personnels remontent à la surface du grand charnier, rappel constant à la mémoire.

"Tous unis comme au front" peut on lire sur le monument aux morts du village martyr.

Source : Pierre CHAVOT et Jean-Denis MORENNE "L'ABCdaire de la Première Guerre mondiale" Flammarion 2001

Quand au bout de huit jours le repos terminé
On va reprendre les tranchées
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c'est fini on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le coeur bien gros comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civelots
Même sans tambours, même sans trompette
On s'en va là-haut, en baissant la tête.

 

Adieu la vie, adieu l'amour
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme
C'est à Craonne, sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau,
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés.

 

Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la relève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu'un qui s'avance
C'est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer,
Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leur tombes.

 

C'est malheureux de voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire Si pour eux la vie est rose
Pour nous, c'est pas la même chose
Au lieu de s'cacher tous ces embusqués
Feraient mieux d'monter aux tranchées
Pour défendre leurs biens, car nous n'avons rien
Nous autres les pauvres purotins
Tous les camarades sont tendus-là.
Pour défend'les biens de ces messieurs là.

 

Ceux qu'ont le pognon, ceux-là reviendront
Car c'est pour eux qu'on crève
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettr' en grève
Vont tous se mettr' en grève
Ce sera votre tour messieurs les gros
De monter sur l'plateau
Car si vous voulez la guerre
Payez-là de votre peau.

Anonyme

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